Pourquoi dépister ?

Dépistage du cancer du poumon : les radiologues français doivent être au rendez-vous

 

Il est une expérience pénible pour un radiologue, celle de découvrir chez un patient un cancer du poumon à un stade avancé, puis de retrouver sur un ancien scanner réalisé ailleurs un petit nodule solitaire qui correspondait au cancer à un stade débutant. Ainsi ce patient, que l’on sait condamné, aurait pu être sauvé si ce petit nodule isolé avait été réséqué à temps. Cette situation clinique, malheureusement non exceptionnelle, fait d’emblée percevoir l’intérêt du dépistage du cancer du poumon par scanner faible dose : faire le diagnostic de cancer à un stade infraclinique lorsque la résection est encore possible. 


Malgré d’importantes avancées thérapeutiques réalisées au cours des 10 dernières années, le cancer du poumon reste, parmi les cancers, le plus grand tueur (33 000 morts en 2018). Le poumon est un organe sans innervation sensitive dans lequel le cancer va se développer silencieusement. Lorsque les symptômes apparaissent, il est généralement trop tard pour proposer un traitement curatif. Mais contrairement à une croyance répandue, la croissance du cancer du poumon n’est pas explosive. La durée moyenne de la phase pré-clinique (c’est-à-dire la période entre le stade IA où le cancer devient visible en scanner et le stade IIIA considéré comme le dernier stade opérable) est ainsi estimée entre 3 et 4 ans pour les carcinomes non à petites cellules, ce qui correspond à une fenêtre de tir utilisable pour dépister le cancer à un stade asymptomatique (1). Il y a donc un rationnel au dépistage du cancer du poumon mais encore faut-il pouvoir démontrer son efficacité. C’est désormais chose faite au travers notamment de deux études prospectives randomisées de grande ampleur – NLST et Nelson – ayant montré une réduction de la mortalité spécifique de 20 et 26%, respectivement (2, 3), avec un bénéfice probablement encore plus marqué chez les femmes. On peut donc considérer que l’efficacité scientifique du dépistage est démontrée et ceci constitue une étape capitale. Reste maintenant le problème de la mise en pratique avec plusieurs questions en suspens telles que l’intégration de scores de risque pour optimiser la population à dépister, le niveau d’adhésion des sujets éligibles au programme de dépistage, ou encore l’impact médico-économique du dépistage. Par ailleurs, il persiste en France un certain nombre de verrous – organisationnels, politiques, financiers – qui devront être levés avant qu’un dépistage massif puisse être organisé sur l’ensemble du territoire.


Un groupe d’experts français, pneumologues et radiologues, a récemment proposé une mise au point complète sur le dépistage du cancer du poumon par scanner faible dose (4). Ces experts se positionnent résolument en faveur d’un dépistage individuel tel qu’il est déjà pratiqué, mais surtout poussent à la mise en place d’expérimentations de grande ampleur dans des territoires pilotes afin de démontrer la faisabilité d’un dépistage de masse à l’échelle nationale. Il y a en effet urgence, on estime qu’un dépistage organisé en France permettrait d’éviter entre 2200 et 7400 décès par an (5). Les acteurs médicaux du dépistage sont nombreux : pneumologues, radiologues, mais aussi chirurgiens thoraciques, anatomopathologistes, tabacologues, épidémiologistes, sans oublier les médecins généralistes qui seront autant de relais indispensables auprès de la population. Si le rôle des pneumologues est d’identifier les sujets éligibles, expliquer les bénéfices et risques du dépistage et promouvoir le sevrage tabagique, les radiologues sont quant à eux les garants d’une standardisation de l’imagerie TDM, tant pour l’acquisition (qualité-image, dose) que pour l’interprétation (détection des nodules, choix de l’algorithme décisionnel). Le déploiement du dépistage à l’échelle de la population nécessitera de faire appel à un nombre important de radiologues, lesquels devront préalablement avoir été formés. Il est donc fondamental que les radiologues français prennent pleinement conscience des enjeux du dépistage et se saisissent à bras le corps d’un sujet qui sera au premier plan dans les années futures.


La Société d’Imagerie Thoracique (SIT) s’est emparé du sujet du dépistage depuis plusieurs années et le nouveau bureau de la SIT marque sa volonté d’en faire un des thèmes majeurs des 3 prochaines années. Ainsi la SIT va proposer une formation sous la forme d’e-learnings et d’ateliers pratiques à tous les radiologues français désireux de participer au dépistage, sur le modèle de ce qui se fait déjà au niveau de la Société Européenne de Radiologie. Parallèlement, un projet de plateforme nationale hébergeant les scanners de dépistage est en cours de réflexion et bénéficiera du soutien d’Astra-Zeneca. Enfin la SFR et la SIT soutiennent et encouragent les études pilotes visant à tester l’implémentation du dépistage en population. C’est notamment le cas de l’étude CASCADE (dépistage du CAncer du poumon par SCAnner faible DosE) portée par l’APHP et bénéficiant d’un financement de 1,8 M€. Cette étude a pour objectif de démontrer que la lecture des scanners par un radiologue formé au dépistage et aidé d’un logiciel de détection, a des performances similaires à une double lecture d’experts. L'originalité de l'étude CASCADE est que la cohorte sera entièrement féminine, le risque de cancer du poumon étant plus élevé chez les femmes que chez les hommes à tabagisme équivalent, et le bénéfice du dépistage étant probablement plus élevé chez les femmes (3). Un volet médico-économique est également prévu afin d’estimer le coût du programme, le coût moyen par participant et le coût moyen par cas dépisté. D’autres projets de recherche sont éminemment souhaitables pour répondre à des questions sur des sujets encore insuffisamment explorés : adhésion aux programmes de dépistage, intérêt du scanner ultra-basse dose, travail sur le cumul de dose, faisabilité de l’analyse CAD et de la volumétrie en routine, anomalies de découverte fortuite, intérêt des marqueurs de risque vasculaire, pulmonaire ou métabolique, analyse radiomique des nodules détectés…


Au total, le cancer du poumon est un tueur silencieux et méthodique qui fait chaque année dix fois plus de victimes que les accidents de la route. Pour améliorer la survie, le dépistage par scanner faible dose est probablement plus efficace et moins coûteux que n’importe quelle thérapie ciblée ou immunothérapie. En se mobilisant, en se formant au dépistage, en proposant des expérimentations régionales, les radiologues français ont l’opportunité d’infléchir le nombre de victimes de ce fléau. Nous lançons donc un appel aux radiologues français à être au rendez-vous du dépistage du cancer du poumon dans les années qui viennent.

 


References
1. Ten Haaf K, van Rosmalen J, de Koning HJ. Lung cancer detectability by test, histology, stage, and gender: estimates from the NLST and the PLCO trials. Cancer Epidemiol Biomarkers Prev. 2015;24:154-161. doi:10.1158/1055-9965.EPI-14-0745
2. National Lung Screening Trial Research Team, Aberle DR, Adams AM, et al. Reduced lung-cancer mortality with low-dose computed tomographic screening. N Engl J Med. 2011;365:395-409. doi:10.1056/NEJMoa1102873
3. de Koning HJ, van der Aalst CM, de Jong PA, et al. Reduced Lung-Cancer Mortality with Volume CT Screening in a Randomized Trial. N Engl J Med. 2020;382(6):503-513. doi:10.1056/NEJMoa1911793
4. Couraud S, Ferretti GR, Milleron B, et al. French Expert opinion on lung cancer screening from the Intergroupe Francophone de Cancérologie Thoracique, the Société de Pneumologie de Langue Française, and the Société d’Imagerie Thoracique. Diagn Interv Imaging. 2020. Online ahead of print.
5. Gendarme S, Perrot É, Reskot F, et al. Modélisation de l’impact économique d’un dépistage organisé du cancer du poumon en France [Economic impact of lung cancer screening in France: A modeling study]. Rev Mal Respir. 2017;34(7):717-728. doi:10.1016/j.rmr.2015.10.004